Histoires de déserts

Les Cités du désert

Conte d'Asie Centrale

Un empereur se réjouit :
Mon empire est vaste. Mes forêts regorgent de gibier. Mes fleuves regorgent de
poissons. Mes montagnes regorgent de pierres précieuses. Mon peuple est heureux
de son sort. Ma femme est radieuse comme le jour.
L’impératrice se réjouit :
Nous possédons beaucoup de forêts et de champs. Les oiseaux chanteurs
s’égosillent dans nos forêts. Des fleurs de toutes sortes poussent sur nos
terres.
Un jour, un vieil homme à l’air fatigué entre dans le palais. Il salue
l’empereur et l’impératrice, puis il s’assoit.
L’empereur l’interroge :
Pourquoi as-tu l’air si fatigué, vieil homme ? Voyages-tu depuis longtemps ?
Le vieil homme répond tristement :
Ton empire est vaste. Giboyeuses sont tes forêts. Poissonneux, tes fleuves. Tes
montagnes regorgent de pierres précieuses. Mais tu possèdes peu de cités, Ô,
empereur ! Nous, les anciens, aimons les cités. Nous aimons leurs murs solides,
leurs tours de guet et leurs lourdes portes. Les empereurs voisins possèdent
beaucoup de cités aux murs plus solides que les tiens.
L’empereur se renfrogne :
J’ai peu de cités. Peu de murs solides. Peu de tours de guet. Peu de lourdes
portes… Vieil homme, que dois-je faire pour couvrir mon empire de cités ?
Le vieil homme se réjouit :
A deux empires d’ici vit le roi des géants. Offre-lui un présent de grande
valeur. Les géants couvriront ton empire de cités avec leurs murs, leurs tours
de guet et leurs portes qu’ils rapporteront d’un empire qui en possède en grand
nombre. Ne regarde pas à récompenser le roi. Offre-lui ta femme s’il la réclame.
Le vieillard se lève et s’en va. C’est comme s’il n’était jamais venu.
L’empereur dépêche l’un de ses ambassadeurs auprès du roi des géants.
Et le roi envoie ses hommes s’emparer de cités avec leurs murs, leurs tours et
leurs portes. En échange, il exige la femme de l’empereur.
L’impératrice pleure :
Le roi des géants m’a obtenue pour plaire à un vieillard. Les hommes du roi des
géants vont abattre mes arbres et saccager mes fleurs pour couvrir notre empire
de cités.
Les fleurs en bouton agitent leurs petites têtes multicolores. Des entrailles de
la terre monte leur esprit qui se met à souffler sur le désert. Les dunes se
transforment en remparts pour affronter les géants.
Les géants se sont emparés des cités, et ils ont chargé leurs murs, leurs tours
et leurs portes sur leurs épaules, puis ils ont marché en direction des terres
de l’empereur.
Comme les géants traversent le désert, les dunes se massent en sombres
tourbillons qui occultent la lumière du soleil en atteignant les cieux.
Le sable est entré dans la bouche des géants. Il est entré dans leurs oreilles.
Il est entré dans leurs yeux. Le sable a battu les géants. Et les géants ont
laissé tomber de leurs épaules les murs, les tours et les portes des cités. La
plupart sont parvenus à s’enfuir mais certains n’avaient plus d’yeux et d’autres
n’avaient plus d’oreilles.
Le sable du désert a enseveli les murs, les portes et les tours des cités. Sur
les terres de l’impératrice les fleurs ont refleuri. C’est ainsi que
l’impératrice a su que les géants avaient perdu la bataille. Alors,
l’impératrice s’est mise à chanter.
L’empereur a entendu la chanson, et il n’a plus envié les cités des empires
voisins.
Il a retrouvé sa femme. Il a entendu son chant joyeux et s’est promis une chose
: ce vieil homme n’était pas près de revenir semer la discorde chez lui !

Marilyn Plénard, Histoires de déserts © Flies France, 2011