Contes à boire et à croquer

Les fées et le petit-lait

Conte italien

Il y a des siècles, les « fantines » vinrent s’établir dans les pâturages de la Barma d’août et de la Coumba de la Biava. C’étaient des fées bergères, bien gentilles et proprettes. Leurs courtes jupes foncées et leurs corsages blancs donnaient à leurs corps minuscules et fins une apparence fraîche et rustique qui les distinguaient de leurs sœurs, les fées fainéantes, aux longues traînes et aux ornements étincelants.

Elles avaient des troupeaux de chèvres et de vaches grasses et prospères qu’elles conduisaient elles-mêmes en pâture ou à l’abreuvoir. C’étaient de petites femmes actives et industrieuses, contentes de la vie et confiante dans la bonté des humains. Elles aimaient les jeunes bergers avenants et leur jetaient, à l’occasion, de tendres regards en coulisse. Mais dès que l’un d’eux s’aventurait à parler mariage, elles s’enfuyaient, légères comme des ombres, en répandant dans les airs leurs francs éclats de rire sonores. Obligeantes, elles donnaient volontiers un coup de main aux pauvres et aux malades et se donnaient beaucoup de peine pour se faire bien voir de tout le monde.

Ainsi, elles enseignèrent de bon cœur aux paysans leurs secrets pour faire le beurre et les fromages qu’on appelle les petits serrés. Un jour de familiarité, dit-on, elles conduisirent leurs jeunes gens préférés dans leurs maisons reluisantes de propreté et leur montrèrent de merveilleux ustensiles d’or et d’argent.

Mais un jour, hélas, leur intimité avec les hommes se rompit : elles devinrent méfiantes et se retranchèrent sur les hautes cimes des montagnes en se dérobant à tout jamais à la vue des mortels. Dépité de n’avoir pu jouir de l’amour impérieux qu’une fantine avait fait naître dans son cœur, un mauvais garnement s’introduisit dans sa demeure féerique et y déroba tous les ustensiles qu’il put y découvrir. Sa vengeance était mesquine, mais il savait combien les fées allaient en souffrir et savourait d’avance leur douleur.

En effet, de retour chez elles, ces âmes simples se désolèrent et se mirent à pleurer, trépignant l’herbe de leurs pieds mignons et s’arrachant les cheveux dans leur rage enfantine. Furieuses, elles lancèrent les plus terribles imprécations contre le voleur anonyme :

Vous nous avez volé nos ustensiles ! crièrent-elles aux curieux, témoins de leur chagrin. Et bien, vous y perdrez, vous aussi ! Après vous avoir appris à tirer du petit-lait du beurre et du fromage, nous aurions pu vous enseigner comment l’utiliser pour fabriquer du miel et de la cire. Mais puisqu’il en est ainsi, nous garderons notre secret !

Et elles disparurent avec leur précieuse recette. C’est pourquoi, depuis ce temps lointain, les bergers de nos montagnes n’utilisent le petit-lait que pour fabriquer du beurre et des laitages.

Isabelle Lafonta, Contes à boire et à croquer © Flies France, 2013