Le buffle et le bœuf étaient cousins et s'aimaient beaucoup. Le
buffle avait deux rangées de dents fort belles. Le bœuf n'en
avait qu'une seule rangée, à la mâchoire
inférieure. Mais le buffle, gentil comme il était, une
fois qu'il avait terminé son repas, prêtait ses dents du
haut au bœuf.
Le cheval dansait merveilleusement. C'était aussi un clown
épatant. Il savait très bien chanter aussi. Il faisait
des tournées à travers le pays, en tant que danseur,
chanteur, amuseur. De partout, le public affluait pour voir ses
spectacles. Un soir, le cheval donnait une représentation
près du lieu où résidaient le buffle et le bœuf.
Le buffle n'avait aucun goût pour ces frivolités. Pour
lui, prendre le frais plongé dans l'eau jusqu'au cou
était bien préférable aux spectacles de cirque.
Le bœuf, de son côté, tout juvénile, voulait voir
le spectacle. Comme les autres animaux, il voulut se mettre sur son
trente et un, et se rendre à la soirée avec deux
rangées de dents. Ainsi, quand il rirait aux plaisanteries du
clown, il pourrait montrer au monde entier deux rangées de
dents superbes. Alors, ayant terminé son dîner, il ne
rendit pas ses dents du haut à son cousin le buffle, mais
s'esquiva jusqu'au lieu du spectacle.
Le bœuf marcha, se pavanant, jusqu'à sa place
réservée. Sur la scène, le cheval dansait, les
animaux applaudissaient. Le cheval fit des cabrioles, récita
des poésies humoristiques, tant et si bien que les animaux se
tenaient les côtes, en proie à un rire inextinguible et
quasiment homérique. Le bœuf riait à gorge
déployée. Le cheval aperçut les deux
rangées de dents ivoirines. Le cheval, lui non plus, n'avait
pas de dents du haut. Il trouva insupportable que cet abruti de bœuf
en déployât. Il songea à une ruse.
Le cheval termina donc son tour de chant, s'assit au milieu des
applaudissements. Les animaux criaient :
- Cheval, tu es sublime, superbe, super !
Le cheval répondit :
- Chers amis et clients, je pourrais vous amuser encore davantage, si
l'un d'entre vous voulait bien me prêter ses dents d'en haut.
Ainsi, je pourrais mieux parler et danser.
Le crétin de bœuf bondit aussitôt, sortit des rangs,
sortit ses dents, les tendit au cheval. Celui-ci remercia, et,
après quelques minutes de repos, reprit son programme. Il
chanta une chanson gaie, les animaux rugissaient de rire. Le cheval
fit un saut périlleux en arrière, le public applaudit.
Le cheval répéta son saut en arrière, retombant
assez loin de la scène. Au milieu des applaudissements, le
cheval tourna casaque, et s'enfuit à toutes pattes, se
carapatant au grand dam du bœuf. Le bœuf pleura :
- Arrête ! voleur ! rends-moi mes dents !
Il se lança à la poursuite du brigand, mais celui-ci
avait disparu derrière les collines. Voilà pourquoi le
buffle n'a plus de dents en haut.