Fourmi et vache
Autrefois, au pays des animaux, le roi Lion décida de
marier sa fille. Rhinocéros, grand serviteur du palais, tapa
sur le tam-tam ancestral pour annoncer la nouvelle à toute la
forêt. Le message finissait par ces propos :
- Vous êtes tous invités et, quiconque n’assistera pas au
mariage de la princesse, sera décapité !
Tout le monde se prépara pour ce grand événement :
les oiseaux, les singes, les caïmans, les
éléphants… Ils se réjouissaient tous du bonheur de
leur roi, Sa Majesté Lion. Vraiment tous ? Non, car Vache
regardait tous les autres animaux et restait indifférente
à tout ce remue-ménage.
- Ecoutez-moi, dit Tigre. Nous devons tous nous réunir demain,
à l’aube, sous le baobab centenaire. Ensemble, nous formerons
un cortège digne de notre roi !
Tous les animaux applaudirent.
- On va bien s’amuser ! s’écria Chat, toujours prêt
à faire la fête.
Le royaume était très loin et il fallait marcher durant
trois jours et trois nuits pour y parvenir. Fourmi était, en ce
temps-là, la meilleure amie de Vache.
- Es-tu prête pour la longue marche ? demanda Fourmi.
- De quelle longue marche veux-tu parler ? Moi, je ne vais nulle part
! Je reste ici ! J’ai mieux à faire que d’aller voir un vieux
roi qui marie sa fille, une petite insolente !
Fourmi ouvrit grand les yeux.
- Aurais-tu donc perdu la tête ! dit-elle. N’as-tu pas entendu
le son du tam-tam ? Quiconque n’assistera pas au mariage, sera
décapité !
- J’ai bien entendu, Fourmi, mais je resterai ici !
Fourmi tenta de convaincre son amie pour qu’elle se rende au
château. En vain. Elle réfléchit longuement, puis
trouva une idée.
- Vache, échangeons nos formes !
- Echanger nos formes ? ! s’étonna Vache.
- Oui, deviens moi et je deviendrai toi !
Vache ne comprenait toujours pas. Fourmi expliqua :
- C’est simple : tu me donnes ton enveloppe de vache et tu prends la
mienne de fourmi.
Vache se mit à rire et dit :
- Voilà des propos idiots, Fourmi ! Admettons que tu prennes ma
forme et que tu te rendes au mariage. C’est toi que le roi ne verra
pas et c’est encore toi qui seras décapitée !
- Ce sont tes propos qui sont idiots, Vache. Je pourrai toujours dire
au roi que j’ai assisté au mariage de la princesse,
cachée dans ton oreille. Comme j’aurai tout vu, je pourrai
décrire tout l’événement dans les détails.
Qu’en penses-tu ?
Vache réfléchit longuement puis finit par accepter. Les
deux animaux échangèrent, par conséquent, leur
forme. Fourmi devint très grosse et Vache minuscule.
A l’aube, tous les animaux s’attroupèrent au pied du baobab
centenaire et tout ce beau monde fit branle-bas en direction de palais
royal. En chemin, Vache -enfin Fourmi- resta silencieuse.
- Vache, pourquoi ne dis-tu mot ? interrogea Singe, qui sautillait,
tellement il était heureux.
Fourmi -enfin Vache, il faut suivre ! - répondit :
- Laisse-la tranquille, Singe !
- Fourmi, je ne t’avais pas vue ! Où es-tu ?
- Je suis dans la bouche de Vache !
- Tu as vraiment de la chance, dit Eléphant. Tandis que nous
autres marchons, toi, tu es tranquillement couchée dans la
bouche de ton amie !
Les animaux marchèrent durant trois jours et trois nuits. Ils
finirent par arriver au château et firent allégeance au
roi et à la princesse. La fête battit son plein une
semaine entière, pendant laquelle les invités burent,
chantèrent, dansèrent…
Zébu, le vizir du roi, trouva Vache -enfin Fourmi ! vous suivez
toujours ?- fort belle mais bien silencieuse.
- Vache, le prochain mariage sera le nôtre ! Je
t’épouserai et nous vivrons tous deux heureux dans ce
château !
Fourmi -qui avait la forme de Vache, vous vous souvenez de cela,
n’est-ce pas ?- accepta et épousa Zébu le grand vizir.
Vache -qui avait la forme de Fourmi, vous ne l’avez pas oublié
?- attendit longtemps son amie, qui ne revint jamais. Elle ne
récupéra donc pas plus sa forme initiale.
Depuis de jour-là, les fourmis -qui sont en
réalité des vaches- pénètrent dans les
oreilles des vaches, qui sont en réalité des fourmis,
les piquent et leur disent :
- Je veux mon enveloppe ! Je veux ma forme !
Et le temps passe, passe…
Salim Hatubou, Contes et
légendes des Comores © Flies France,
2004